Depuis la maison familiale, où il respecte scrupuleuse les consignes et les gestes barrières, Alexandre avoue son inquiétude mais s’interroge sur l’avenir. « Je sais que l’IME doit être fermé pour des raisons des sécurité et qu’on n’a pas le choix. Le confinement est le seul moyen de vaincre la pandémie. » Pour lui, le plus dur est l’incertitude et les changements. « Il fait de gros efforts et prend beaucoup sur lui » confesse Géraldine, sa mère.
« Une organisation quasi-militaire »
Pour y remédier, la famille a bâti un planning structurant chaque temps de la journée. Le scolaire débute à 8h45. Le blog de l’IME est précieux pour un garder le lien avec l’atelier espaces verts. « Il est génial, très vivant et utilisé régulièrement. Pour Alexandre, c’est plus facile car il n’a pas à avoir de contact direct » détaille Géraldine.
Une fois récupérées, les fiches peuvent donner lieu à des échanges avec les professionnels. Alexandre et sa mère prennent le temps d’en adapter certaines pour les rendre plus visuelles en l’absence de démonstrations concrètes. « On a la chance d’avoir l’habitude de travailler ensemble » reconnaît-elle. La matinée se poursuit avec des exercices pratiques et laisse la place aux activités extérieures, à la cuisine ou aux jeux de société de l’après-midi. « On a fait des semis, du rempotage et un carré potager » détaille Alexandre. « Parfois, on fait aussi du ping-pong ou du badminton. » Tout est prétexte à de l’éducatif, y compris une interview qui devient un travail de Français. Mais après 17h30 et le week-end, les activités s’arrêtent. « On a une organisation quasi-militaire à la maison ! On garde ce rythme car Alexandre ne peut pas vivre sans repères » résume sa mère. Il a conscience de vivre une période historique. Sa mère consigne toutes les activités et prend des photos pour, à terme, réaliser un cahier de confinement.
Le soutien de l’IME
Un lien très fort s’est rapidement développé avec l’établissement. « L’équipe fait tout ce qu’elle peut. On a leurs mails et ils sont très réactifs » explique Géraldine. « Tous les mardis, la psychologue m’appelle » ajoute Alexandre, pour qui ce rendez-vous est une soupape de sécurité. Une fois par semaine, ses éducatrices appellent pour prendre de ses nouvelles. « On est soulagé de continuer à avoir du lien car Alexandre aurait tendance à s’isoler » confie Géraldine. « L’IME me manque un peu, j’y avais des potes » reconnaît Alexandre. « Ce qui manque, c’est la socialisation. Au collège, il était à côté des autres. À l’IME, il est avec les autres, il a trouvé sa place » ajoute sa mère. La pratique, les chantiers et les journées de travail lui manquent aussi, d’autant que son premier stage en ESAT a été reporté. L’enjeu sera maintenant d’aborder le déconfinement. « Il faudra travailler en amont pour qu’il accepte de sortir, que les choses seront différentes et ne pas avoir de craintes. » prévoit Géraldine.
Comment travaillez-vous avec les jeunes ?
C’est compliqué pour eux car on s’est quitté sans préparation. On leur prépare des fiches technologiques et de compétences compréhensibles et succinctes qui les confortent dans leur formation. Il faut prendre du temps pour les établir, faire du lien, travailler autrement et devenir créatif : passer de l’abstrait au concret et inversement est une sacrée gymnastique ! Il faut expliquer ce qu’est l’activité, son but et présenter les machines. Tout est découpé par gestes, comme une grosse recette. Nous sommes très vigilants sur la sécurité et demandons aux jeunes de bien réfléchir aux raisons derrière chaque geste.
Quels liens maintenez-vous avec les jeunes ?
Les fiches sont préparées tous les jours, envoyées au responsable puis diffusées directement ou via le blog qui a pris toute son ampleur. On communique directement avec certains jeunes pour prendre des nouvelles : on recrée des liens personnalisés. Certains jouent bien le jeu et ont des familles qui les soutiennent. Pour d’autres, c’est plus compliqué si on n’est pas derrière. Je suis aussi en lien avec les collègues pour voir comment ils supportent le confinement et échanger sur certains jeunes. Ça montre qu’une équipe existe encore.
Comment envisagez-vous la suite ?
L’herbe ne s’est pas arrêtée de pousser ! Si on recommence trop tard, on ne pourra pas mener tous les chantiers pédagogiques. Il faut anticiper. Je suis remonté à l’IME mettre en route les machines et faire le point pour commencer à tondre sans les jeunes et maintenir l’activité quand le déconfinement aura lieu.
Pour travailler la motricité fine autrement, Sébastien Loureaux s’est notamment rapproché des enseignants du SIAAM pour la lier au scolaire. Sans oublier les parents, relais crucial qui assurent le travail à domicile autant qu’ils peuvent. « Les enfants prennent leur part, expliquent comment on travaille avec eux. » Des contacts directs avec les familles, plus fréquents pour les parents de jeunes enfants, renforcent ce lien essentiel. « Avant, les séances avaient lieu avec les enfants mais on n’avait pas forcément de liens avec les familles. Ce qui a vraiment changé, c’est ce lien » complète le psychomotricien. Pour les aider, il a livré beaucoup de matériel et a créé des fiches explicatives sur les jeux ou la construction d’un parcours psychomoteur. Aux outils existants s’ajoutent des créations issues de recherches, d’échanges entre collègues et d’adaptation. Pas simple depuis chez soi. « J’ai une pièce remplie de tissus et de matières ramenés du bureau » s’amuse Sébastien Loureaux.
À distance, certains objectifs comme le travail sur les émotions, devenu difficile à travailler, sont laissés de côté. « Les enfants ont besoin de se rapprocher très près de nous pour voir et comprendre. ». À l’inverse, d’autres sujets sont priorisés tels que le travail sur la vie quotidienne ou le graphisme avec différents médiateurs présentés aux familles (lettres tactiles, écriture dans la farine…)
Garder le contact et le sourire
Depuis mars, les « défis confinés » du SIAAM préservent le lien avec des familles jonglant entre activité professionnelle, gestion du quotidien et travail avec les enfants. Imaginés pour les plus petits, à la crèche ou en primaire, les défis rassemblent la famille autour d’activités ludiques et pédagogiques. Chaque semaine, trois défis sont soumis sur thèmes variés : les chaussettes, le goût, la pâtisserie… La recette du défi culinaire est suivie par le créatif proposant reconnaissance des goûts ou d’objets au toucher. Vient enfin le défi culturel et ses charades, histoires audio ou chansons. Ces épreuves sont l’occasion de dispenser des conseils concrets, utiles aux jeunes. Au détour d’une crêpe, ils apprennent à verser un ingrédient, repérer une graduation ou développer le toucher.
Le succès est au rendez-vous. « Les enfants sont très fiers de nous montrer leurs réalisations. Ça permet qu’ils ne nous oublient pas » résume Sébastien Loureaux. « C’est aussi une porte d’entrée pour savoir comment ils vivent le confinement. En cas de tensions, on peut réorienter vers d’autres professionnels. » Déjà, la formule s’exporte au sein du réseau SARADV (Soins et accompagnements en Rhône-Alpes pour la déficience visuelle) dans les SESSAD PEP semblables de la région. À terme, un livret valorisera tous ces défis.
« Au début, je donnais 5-6 objectifs pédagogiques par enfant mais j’avais peu de retour. Les familles étaient débordées » se souvient Maxime Charbonnier, enseignant spécialisé. Les professionnels s’étaient répartis les rôles pour ne pas surcharger des parents jonglant le télétravail, leur enfant à l’UEMA et la fratrie. Mais personne n’imaginait un confinement si long.
Progressivement, Maxime Charbonnier se focalise sur des aspects moins contraignants pour que chacun s’empare de ce qu’il peut. En vidéo, il lit des albums, chante et reprend des comptines à gestes. Un mail hebdomadaire précise les objectifs pédagogiques et des envois proposent des actions sur l’art visuel, la motricité… Les parents s’en emparent et les retours arrivent. « Je suis extrêmement et agréablement surpris par leur implication. La confiance s’est installée, chacun est soucieux des autres. »
Le virtuel pour anticiper le réel
Avant les vacances de Pâques, grâce à l’outil virtuel du CNED, quatre temps de classe de 15 minutes sont organisés, rappelant les regroupements de début de journée avec un chanson pour saluer chaque enfant, un temps de comptine pour apprendre à imiter les gestes et une lecture d’album. Les sept familles ont joué le jeu malgré les obstacles techniques et organisationnels rencontrés par deux d’entre elles.
« Ces temps sont d’abord du plaisir mais l’idée est d’aller vers plus de régularité » insiste Maxime Charbonnier. « Ils réinscrivent parents et enfants dans une dynamique quotidienne avec la classe pour se projeter vers la rentrée. » En parallèle, les éducateurs donnent toute sa place à l’école à la maison dans le planning des jeunes.
Maintenir une vigilance
Si le virtuel maintient un lien jusqu’au retour en classe, travailler l’inclusion reste difficile. Les échanges à distance se font avec des adultes connus et l’école maternelle n’organise pas de séances visio. L’enjeu est surtout de revoir à la baisse les objectifs pédagogiques fixés pour la fin d’année. Quant aux régressions, elles restent rares. « On propose des choses que les enfants peuvent réussir avec leurs parents » explique Maxime Charbonnier. « L’obstacle est leur capacité à généraliser les compétences apprises. » Une attention particulière est portée aux sortants de l’UEMA dont les objectifs en termes de comportement et de communication sont essentiels pour réussir leur avenir.
D’ici le 11 mai, il faudra travailler par paliers, récolter les informations et les partager pour préparer un retour en sécurité. « Les parents sont inquiets quant à la transmission du virus et le respect des gestes barrières. Porter un masque va être compliqué car les enfants risquent de ne pas nous reconnaître » note Maxime Charbonnier.
Habituée à l’informatique, Émilie Hyvert, psychologue aux SESSAD autisme et de Nantua, a vu sa pratique transformée par la généralisation des consultations en visio. Dans l’ensemble, elles ont été adoptées assez facilement par les jeunes et les familles qui se sont bien adaptés au confinement. « Pour le moment, ça se passe plutôt bien mais il y a un risque que ça se dégrade avec le temps. S’il y a des clashs, nous intervenons plus spécifiquement sur la gestion de crise » explique Émilie Hyvert.
Une nouvelle forme d’intervention
Spécialisée en neuropsychologie, elle a ajusté les accompagnements à la dématérialisation, suspendant temporairement les parties requérant du présentiel. « Je ne peux pas demander aux parents de réaliser les tests qui réclament un papier et un crayon, sous peine de fausser les résultats » précise Émilie Hyvert. Au fil des séances, elle distille informations et stratégies d’adaptation pour renforcer des capacités cognitives.
Pour les plus jeunes enfants, les parents sont présents pour apporter leur aide. Les plus grands sont seuls devant leur ordinateur et travaillent par partage d’écran. Le rythme hebdomadaire est maintenu avec un renforcement du soutien aux familles, notamment pour l’école à la maison et l’adaptation des supports fournis par les enseignants.
Du côté de Stéphanie Hameury, psychologue aux SESSAD et à l’UEMA d’Oyonnax, les suivis varient au cas par cas. Pour certains la fréquence est identique. Pour d’autres, le confinement et l’absence d’école créent des angoisses nécessitant des échanges tous les jours. Avec les familles de l’UEMA, les appels sont aussi quotidiens. Des astreintes psychologiques se mettent en place pour les familles en situation délicate. « Certaines sont très angoissées et peuvent développer des symptômes pas forcément liés à une maladie réelle » détaille Stéphanie Hameury, qui peut avoir à apaiser certaines angoisses plusieurs fois par jour.
Des mines de ressources numériques
Depuis mars, le blog du SESSAD de Nantua publie chaque jour un article, rédigé à partir des idées de l’équipe. Dans ses colonnes, les familles trouvent des outils de travail et des conseils pratiques pour rendre leur enfant plus attentif, gérer le stress, faire du sport… Les activités peuvent se rapprocher des séances de travail ou être plus ludiques avec une dimension d’apprentissage. « Le blog doit convenir à un maximum de monde. Il propose de se détendre, de créer, de travailler différemment » résume Émilie Hyvert, à l’initiative du projet. Ouvert aux familles et aux professionnels, il cherche encore son rythme de croisière mais pourrait perdurer après le confinement comme banque de ressources.
Favoriser l’émulation
À l’UEMA d’Oyonnax, la question d’un outil collaboratif se pose depuis quelques temps. Désormais, les cinq familles, avides d’informations sur la vie de l’école, se retrouvent dans un groupe Facebook privé. Il répond aux besoins des parents qui avaient du mal à mettre en application des activités pour leurs enfants, souvent par manque de temps.
« Nous avons commencé par des vidéos où nous nous servions de nos enfants pour mettre en pratique des activités, reprendre des grands principes déjà expliqués » détaille Stéphanie Hameury. « C’est de l’apprentissage, assimilable à des temps scolaires. » L’idée est que chaque enfant puisse regarder la vidéo autant qu’il le souhaite pour saisir son message et travailler des aspects variés tels que le langage, le vocabulaire… Les vidéos, sur un modèle interactif rappelant « Dora l’exploratrice », sont conçues par deux membres de l’équipe avec des contributions ponctuelles de l’enseignante. Des vidéos sur la gestion de crise sont aussi partagées.
Les parents se sont appropriés l’outil, partageant photos et vidéos de leurs enfants au travail. « Ça recréé du lien entre les parents comme lorsqu’ils se retrouvaient sur le site de l’école » complète Stéphanie Hameury.
Pour être efficace, le suivi à distance s’adapte aux besoins et à la personnalité de chacun : téléphone ou visio, c’est au choix. Parmi les familles qu’accompagne Lolita Grobon, monitrice-éducatrice, trois ont fait le choix de la visio. « Ils sont contents de nous voir et l’enfant se concentre plus sur l’activité » explique-t-elle. Preuve de ces bienfaits, une maman a souhaité passer d’un à deux échanges hebdomadaires. « Certains préfèrent car ils nous voient, sont rassurés et savent qu’ils peuvent compter sur nous, qu’on ne les lâche pas » ajoute Mélanie Michaud, accompagnante éducatif et social.
Bien négocier le tournant
Un emploi du temps permet de savoir qui joindre à quel moment, selon les disponibilités des parents. « On essaie d’appeler aux mêmes jours et aux mêmes heures pour garder un rythme » précise Lolita Grobon. Pendant la séance, l’éducatrice travaille en simultané avec l’enfant pendant 30 à 45 minutes. Les supports de travail, conçus en équipe sont envoyés aux familles, par mail ou courrier. « On travaille l’essentiel, en lien avec le besoin des enfants et leur projet personnalisé » explique Lolita Grobon. Ensuite, elle ménage un temps d’échange avec les parents, essentiel devant l’ampleur des changements vécus par les enfants.
Les activités ont été pensées en fonction des projets des jeunes et rapidement, surtout pour les enfants ayant peu d’activités en journée. Pour eux, il convenait de ne pas les laisser s’ennuyer et de préserver la dimension éducative. Mélanie Michaud poursuivit l’activité « les petits bricolos » stimulant la créativité, l’art manuel et la fabrication. « Je leur envoie les idées qu’ils fabriquent chez eux et me font suivre des photos. » Elle profite aussi du confinement pour finaliser des projets abandonnés faute de temps. Une idée autour de la photo est dans ses cartons.
Chaque fiche activité signale clairement les objectifs éducatifs, permettant aux parents d’estimer les progrès de leurs enfants. L’accompagnement porte aussi sur la vie quotidienne et sur des solutions pour occuper intelligemment les journées : mots croisés, mots mêlés…
Le livret : l’étape suivante
Pour deux enfants en mal d’occupation, Mélanie Michaud a créé un livret rassemblant la dimension scolaire, les travaux manuels et l’accompagnement au quotidien autour d’un thème. Chaque semaine, avec l’appui de l’enseignante, le livret prend les couleurs d’un pays pour travailler sur le drapeau, les villes, faire des mots mêlés, des activités manuelles ou de la cuisine. « Un enfant adore la géographie. Il connaît la carte du monde par cœur » justifie Mélanie Michaud. Après les États-Unis et l’Inde, cap sur l’Afrique. « Ça leur prend du temps et leur demande de la réflexion. Le but n’est pas qu’ils le fassent en une journée mais sur toute la semaine. Les jeunes mélangent le plaisir, l’éducatif et le scolaire et vont apprendre plus ».